1. Cryoconservation de souches microbiennes


1.1 Les basses températures, l'arrêt des réactions chimiques

Le principe : Les basses températures vont permettre d'arrêter toutes les réactions chimiques cellulaires et donc de conserver de façon parfaite (du moins en théorie). Il suffira de réchauffer pour remettre en route... Mais on va voir qu'il y a de nombreux obstacles !

Dès -30°C, les cinétiques des réactions chimiques sont très lentes, les évolutions sont réelles mais se font sur de nombreux mois. A -80°C, l'évolution chimique est très très lente, mais réelle. A -196°C, plus rien ne bouge, ou presque.

Malheureusement, en pratique, en absence de cryoprotecteurs (voir plus loin) on va se trouver confronté à deux gros problèmes :
  • l'eau cristallise aux basses température et les cristaux de glace peuvent endommager de façon létale (mortelle) les cellules. Il va donc falloir gérer les basses température en évitant l'apparition des cristaux de glace létaux. Et ce lors de la congélation mais aussi lors du réchauffage (le réchauffage est une étape cruciale qui peut être fatale) ;
  •  lors de la cristallisation de l'eau, il se forme des cristaux de glace pure et il apparaît une phase aqueuse résiduelle hyper-osmotique qui peut conduire à des effets osmotiques létaux (notamment par effet sur les protéines). Voir plus loin.

Une méthode de conservation d'une souche par cryoconservation doit donc proposer un mode opératoire pour le refroidissement (composition du milieu avec présence de tel ou tel cryoprotecteur, dimension des conteneurs et cinétique de refroidissement pour atteindre la température de conservation fixée) et un mode opératoire pour le réchauffement (notamment la cinétique du réchauffement). Les modes opératoires seront plus ou moins simples selon les capacités des souches à résister aux effets dommageables.

Dans le langage courant, on dit souvent "conservation par congélation", cryoconservation paraît même un peu pédant. Mais congélation est moins exact, car on ne cherche pas à congeler - la gélification de l'eau est même un problème - on cherche les basses températures pour conserver.


1.2 Lecture : un ou deux éléments dont il faut avoir entendu parler concernant les phénomènes de congélation

Quand on s'intéresse aux phénomènes de transition solide/liquide on évoque souvent la température de fusion (à pression atmosphérique) : c'est la température à laquelle le milieu va fondre. Lors du refroidissement d'un liquide ou d'une solution il peut se produire des phénomènes de surfusion. Expliquons ce que cela signifie, par exemple avec le cas de l'eau pure : la glace fond à 0°C, mais on peut très bien tenir de l'eau pure à l'état liquide en dessous 0°C (jusqu'à -39°C dans des conditions très bien conduites). En revanche dès que le processus de nucléation débute dans de l'eau en surfusion, il est très très rapide. Le terme surfusion signifie ainsi que le milieu reste liquide alors qu'on est en dessous de la température de fusion mais que la cristallisation peut s'enclencher de façon ultra rapide.
Pour en savoir plus http://fr.wikipedia.org/wiki/Surfusion (avec la formidable histoire des chevaux du lac Ladoga ), ainsi que https://www.youtube.com/watch?v=Q7HKawO_ATM.

 

La présence de solutés diminue la température de transition solide/liquide d'une solution aqueuse. Ainsi un mélange eau/étylène glycol à 33% v/v d'éthylène glycol possède une température de fusion de -19°C. Aucun risque qu'il congèle au dessus de -19°C. Ainsi un mélange eau/NaCl 78g/22g fond vers -20°C seulement. Un mélange congelé eau/glycérol à 40% de glycérol v/v possède une température de fusion de -38°C.

 

Quand une solution aqueuse chargée de solutés commence à congeler (il faut donc déjà avoir abaissé la température en dessous du point de fusion !), il se forme des cristaux de glace pure au milieu d'un réseau de phase liquide résiduelle. Au fur et à mesure de l'abaissement de la température qui continue,la congélation progresse : la phase aqueuse résiduelle perd de l'eau qui cristallise. Ainsi la phase aqueuse résiduelle se concentre de plus en plus en solutés. Lorsque la température continue à s'abaisser encore au delà d'une valeur limite, le liquide résiduel se solidifie par vitrification (état solide sans cristaux, amorphe). Lors des congélations de cellules, il faut généralement descendre en dessous de -102°C pour atteindre la vitrification de la phase liquide résiduelle.


1.3 Congélation de cellules en absence de cryoprotection : Les cristaux de glace pure, le liquide résiduel et l'osmose

Les congélations lentes, en absence de cryoprotecteur, déshydratent les cellules par effet osmotique. Cette déshydratation concentre le milieu cellulaire et peut entraîner une altération irréversible du "gel protéique cellulaire" et des systèmes membranaires par effet de 'salting out'. La cause de la déshydratation se comprend si on sait que les premiers cristaux de glace (en absence de cryoprotecteur) apparaissent d'abord hors des cellules et :
- Les cristaux de glace apparaissent d'abord hors des cellules et formés d'eau pure ils génèrent une phase aqueuse résiduelle qui se concentre en solutés. L'osmolarité de la fraction liquide extracellulaire résiduelle augmente avec le processus de congélation lente.
- Les cellules réagissent à cet environnement hyper-osmotique en se déshydratant. La concentration saline intracellulaire augmente. Les altérations par effet de 'salting out' deviennent possibles.

On se dit donc qu'il n'y a qu'à congeler à vitesse rapide pour aller plus vite que les cinétiques de sortie d'eau des cellules. Aie,aie, aie, catastrophe ! On va créer des cristallisations intracellulaires mécaniquement létales et des phases résiduelles aqueuses intracellulaires hyper-concentrées néfastes !


1.4 Des cryoprotecteurs et une cinétique de descente en température adaptée. le réchauffement après conservation par congélation doit être rapide

Les cryoprotecteurs sont des molécules qui vont pénétrer dans les cellules tout en étant pas trop toxiques (c'est le cas du glycérol et du diméthlsulfoxyde, DMSO). Ils vont réduire la glace formée. La descente en température se fera en milieu très concentré à très bas point de fusion. De plus, lors de la cristallisation interne aux cellules, les cryoprotecteurs permettent la multiplication de petits cristaux arrondis sous une forme de cristallisation dite cubique, une forme peu agressive pour les cellules. Sans cryoprotecteur, l'eau cristallise sous forme de gros cristaux peu nombreux et sous une forme de cristallisation dite hexagonale très coupants, très néfastes. La cinétique de descente en température doit être adaptée (classiquement vers 1°C/min).

Au réchauffement, il faut absolument éviter que les petits cristaux ronds fassent la transition vers les cristaux hexagonaux coupants. Ceci est réalisé par des cinétiques de réchauffement qui doivent être rapides.

Au fur et à mesure de la formation de glace, les liquides résiduels sont emprisonnés dans un réseau assimilable à une série de cavités reliées entre elles par des micro-canaux. Si la température ne descend pas trop bas, Le milieu est donc assimilable à des cristaux de glace pure qui emprisonnent le réseau de phase liquide résiduelle. En dessous d'une température limite (-102°C, La chaleur latente de fusion croît avec la température selon la loi de Kirchhoff et s'annule en dessous de 102°C) , le liquide résiduel se solidifie par vitrification (état solide sans cristaux, amorphe). Lors des congélations de cellules, il faut généralement descendre en dessous de -102°C pour atteindre la vitrification de la phase liquide résiduelle.
Pour en savoir plus, même si cela concerne les cellules eucaryotes : http://wcentre.tours.inra.fr/prc/internet/courtens/congelation/0_congelation.php (un ensemble de pages, INRA, très très complet) ainsi que http://www.labcluster.com/images/Cryoconservation_Corning.pdf. (un document technique de la société commerciale Corninng mais bien fait avec notamment un bon schéma en début de page 3).

 

Les 2 cryoprotecteurs les plus utilisés en microbiologie sont le glycérol et le diméthlsulfoxyde ((CH3)2SO) ( de la classe des cryoprotecteurs de petite taille pénétrant les cellules (des molécules polaires évidemment)).


1.5 Congeler des microorganismes et conserver à -20°C, -80°C, -196°C ?

Les micro-organismes bactéries ou levures ou moisissures se congèlent généralement selon des modes opératoires simples et donnant de bons taux de revivification après réchauffement (en tous cas de façon plus simple que les souches de cellules animales). On trouve facilement de nombreux modes opératoires en ligne, les deux cryoprotecteurs utilisés sont le glycérol et le DMSO (diméthylsulfoxyde). Ainsi avec du glycérol à 20% à 30% dans le milieu on peut conserver à -80°C la plupart des micro-organismes

A -20°C, les températures ne sont pas assez basses et le système évolue chimiquement et pas en bien ... : on pourra conserver des bactéries, des levures, des moisissures quelques mois à quelques années cependant.

A -80°C, les évolutions chimiques sont vraiment très très lentes. La plupart des micro-organismes sont alors conservables avec une bonne viabilité si il y a eu congélation en présence de cryoprotecteurs comme le glycérol et le DMSO et si le réchauffement pour la revivification est rapide. Très intéressant donc pour les conservations sur plusieurs mois à quelques années. D'autant que les congélateurs -80°C sont désormais abordables.

A -196°C, dans l'azote liquide, on est aussi parti pour des conservations possibles sur de très longues durées !

 

Dans tous les cas, attention aux ruptures de froid : coupures d'électricité, approvisionnement en azote liquide ... C'est, en pratique, un gros problème les conservations par congélation sur les longues durées !!